Sous l’œil de leurs mamans accablées de chaleur, Des enfants barbotaient gaiement dans la piscine ; Des filles de quinze ans, à la jolie poitrine, Bronzaient dans le gazon, près des bosquets de fleurs.
À la brasse ou au crawl, je faisais mes longueurs, Sentant l’eau caresser mon corps mince et agile ; Je plongeais tout au fond, insouciant crocodile, Puis remontais, vif comme un bouchon de pêcheur…
Je voyais la cheminée de la Gécamines, Son terril sombre et gris – fabuleuse colline ! – Le ciel bleu où passaient de beaux nuages blancs.
Je m’allongeais enfin sur le chaud carrelage, Et je fermais les yeux, sous le soleil brûlant, Laissant le vent si doux chatouiller mon visage.
Oncle Roger avait des cheveux bien peignés, Les yeux clairs ; il portait une belle chemise, Une cravate au nœud un peu lâche ; sa mise Était celle d’un jeune homme plutôt soigné.
Il parlait d’une voix hésitante, cherchant Ses mots, et répétant dix fois la même chose ; Personne n’écoutait son ennuyeuse prose… Son regard était doux, son sourire attachant.
Et moi, je l’observais, intrigué, dans mon coin, Surpris de voir ses yeux si bleus se perdre au loin… Qui pouvait se cacher dans ce grand corps d’adulte ?
Quel enfant de trente ans, quel petit garçon sage Vivait ainsi, tranquille, à l’abri des tumultes, Dans ce jardin au ciel sans pluie et sans orage ?
Je n’ai pas oublié, chère tante Margot,
Ton accueil chaleureux quand on rentrait d’Afrique ;
Ravi, je déballais des cadeaux magnifiques,
Des albums de Tintin, des livres, des Lego.
Je me souviens, vois-tu, de séjours merveilleux
À Westende, à Nieuport, sur ces venteuses plages
Où le ciel si souvent se couvrait de nuages ;
Mais le soleil brillait chaque jour dans tes yeux…
Tu sommeillais, plus tard, au fond de cette chambre
Que baignait doucement la clarté de novembre ;
Je te prenais la main, nous faisions quelques pas.
La nuit, je pense à toi, tante Margot si chère ;
Je vois briller tes yeux, j’entends, brise légère,
Ta voix me murmurant bien des choses, tout bas.
La lune se dévoilait dans le ciel radieux.
Là-bas, très haut, très loin, dans l’espace et le vide,
Deux hommes résolus, pionniers intrépides,
Descendaient doucement vers l’astre mystérieux.
Armstrong posait le pied sur le sol poussiéreux,
Faisait ses premiers pas, tel un bambin timide
S’émerveillant d’un monde insolite et splendide…
Près de lui, Buzz Aldrin sautillait, tout joyeux !
Comme ils étaient petits, dans cette immensité,
Sur cette étrange mer de la Tranquillité
Où s’étalaient sans fin cratères et crevasses !
Ils voyaient se lever, dans la nuit la plus noire,
Une boule blanche et bleue, bille dérisoire :
Notre Terre, oasis au milieu de l’espace.
21 juillet 2019,
50ème anniversaire du premier pas
de l’homme sur la lune.
C’est une maison blanche au bout de l’avenue,
S’ouvrant sur un jardin embaumé de soleil ;
On se repose un peu sous l’ombre bienvenue
D’un flamboyant aux fleurs splendides et vermeilles.
On voit des hibiscus, des roses inconnues
Que viennent butiner les bourdons, les abeilles,
De grands papillons bleus voltigeant dans les nues ;
Les chants de bengalis nous bercent les oreilles.
Et moi, petit garçon calme, je me promène,
Je me penche sur l’eau limpide du bassin
Où frissonne et frémit le jet d’une fontaine.
Couché dans le gazon, frais et tendre coussin,
Je m’endors, doucement, et les ombres s’installent,
Et stridulent sans fin les heureuses cigales…
C’est un ogre, un géant, un colosse au grand cœur,
Qui me prend dans ses bras, me soulève, m’emporte,
Comme si je pesais moins qu’une feuille morte,
Me presse contre lui, me serre avec vigueur.
Il a la barbe drue, un torse de catcheur.
Quand retentit son rire énorme, sa voix forte,
Transperçant les plafonds, les murs, la moindre porte,
Les chats et les souris détalent, pris de peur !
À table, il engloutit des plats gargantuesques,
Déchire des chapons aux cuisses titanesques,
Avale bière et vin, dévore les pâtés…
Chaque soir, oncle Paul raconte des histoires,
Des blagues, des récits drôles, jubilatoires,
Dont nul ne sait s’ils sont réels ou inventés…
Jean-Paul Labaisse, septembre 2017.
Mon père, à gauche, et Paul, à droite, en 1935.
Ils ont 6 et 5 ans…
Paul (à gauche), et mon père (à droite), en 1937.
Ils ont 7 et 8 ans…
Paul et Hilda, en janvier 2012 (Paul a 81 ans).
Je suis derrière…
Je revois la maison, au 20 rue de Septembre,
Son raidillon menant aux rosiers négligés,
Son grenier plein d’objets anciens et mélangés,
Son salon, ses couloirs labyrinthiens, ses chambres.
Les fauteuils sommeillaient, tapis sur le sol sombre,
Et j’entendais gémir un buffet imposant ;
Des masques africains, yeux clos, le front luisant,
Chuchotaient sur les murs indistincts, noyés d’ombre…
J’admirais, exposés dans un désordre étrange,
Des bibelots venant du Brésil, du Congo,
Des lampes du Maroc, des paniers indigo,
Des statues Baluba, des tajines orange.
Un piano traînait dans un bureau sans âge ;
Je m’asseyais, ouvrant le couvercle verni,
Laissant courir mes doigts sur l’ivoire jauni.
Une horloge sonnait, quelque part à l’étage.
Dans la cave brillaient les chromes et les phares
D’une belle Allemande ! On devinait des sacs,
Des pinces, des rabots, des étaux, bric-à-brac
Fameux, trésor d’outils poussiéreux et bizarres…
Bobonne s’affairait, recluse en sa cuisine ;
Lunettes sur le nez, front penché, l’air sérieux,
Grand-père consultait un carnet mystérieux.
Moi, je faisais semblant de lire un magazine !
Je folâtrais parmi les arbres du verger,
Ramassant une pomme, une prune, une poire,
Un beau scarabée à la carapace noire.
Je revenais enfin, sans bruit, le pas léger.
Parrain fermait les yeux, courbant sa tête blanche ;
Grand-mère préparait le lapin du dimanche.
Dans le grenier, j’ouvrais des cahiers, des recueils,
De lourds et vieux albums, des fardes bien remplies,
Reconnaissant Papa sur des photos pâlies !
Mes grands-parents, plus tard, dormaient dans leurs fauteuils ;
Leurs ronflements montaient, envahissaient l’espace !
Bobonne était l’alto, Parrain faisait la basse…
En fin d’après-midi, je foulais le gazon,
Puis me hissais sur la grinçante balançoire,
Allant très haut, heureux comme sur une foire !
Je vous revois, debout devant votre maison ;
Vous me donnez la main, dans la lumière grise,
Et tombe la nuit douce, et se lève la brise…
On le devine à peine, avançant prudemment
Sur le rameau d’un arbre, ou sur la terre grise.
Craintif, il ralentit un peu, s’immobilise,
Patte en l’air… Il repart, au bout d’un long moment.
Il dirige en tous sens ses grands yeux globuleux,
Détend soudain sa langue, inouï harpon rose…
Sur sa branche, il devient vert, se métamorphose,
Se teinte en brun, revêt son smoking jaune et bleu.
Son corps aux maigres flancs se pare de zébrures,
De taches, de dessins, de splendides rayures,
Étonnant maquillage aux nuances fugaces.
Il glisse et disparaît dans les herbes rebelles…
Une branche remue, une brindille casse,
Dans la clairière où l’ombre et la clarté se mêlent.
C’est une belle auto qui nous vient d’Amérique,
Une Chevrolet rose aux chromes rutilants,
Capot immense, flancs bombés, phares brillants,
Vitres réfléchissant le beau ciel de l’Afrique.
Nous sommes cinq ou six sur la banquette arrière,
Maman devant, Papa qui conduit, attentif,
Mes frères câlinant notre berger, l’œil vif,
Et nous rions, tanguant sur des chemins de terre.
Nous arrivons devant un modeste ruisseau,
Montrant sous le ciel bleu son eau jaune et boueuse.
Nous plongeons en poussant des cris, bande joyeuse
Et folle ! Le chien nage avec nous, tout pataud…
Puis, nous nous endormons au soleil, sur la grève,
Tranquilles, chatouillés par le vent qui se lève.
Nous étions quatre enfants dans une seule classe.
Marie-Anne inclinait sa tête aux boucles blondes,
Bleuissant le papier de belles lettres rondes.
Mes frères, dans le fond, bavardaient à voix basse.
J’écoutais la maîtresse, et sa douce voix lasse,
Nous parler du Congo, nous décrire le monde.
Mon index s’égarait sur une mappemonde,
Pointant le Sahara, l’Antarctique et sa glace…
Très fier, j’effectuais mes premières lectures,
Découvrant le calcul et l’ivresse des nombres…
Scribe calligraphiste à la gauche écriture,
Mes doigts bleus étalaient l’encre brillante et sombre,
Dans des cahiers épais que je couvrais de lignes,
Jardins de mots, forêts de lettres et de signes !
Jean-Paul Labaisse, décembre 2017.
merci à Pierre pour avoir trouvé l’excellent vers 8 !
Michel, Philippe, Maman, Marie-Anne, et moi, à Mutshatsha, vers 1966, époque de ma 1ère année…