Danseuse

Une fille née au cœur de la nuit
Dansait sous un ciel caressé d’étoiles ;
Toute frémissante en ses frêles voiles,
Elle parfumait la brise sans bruit.


Son corps si léger survolait le monde,
Ses gestes gracieux retenaient le temps,
Comme un oiseau pur dans le doux printemps,
Tel un ange d’or à la tête blonde.


Ses bras enchantaient les pauvres rêveurs,
Sa taille grisait le cœur le plus sage ;
Mais la jeune fille à si belle image
N’était que chimère au goût sans saveurs…


Elle ne savait faire qu’une chose :
Danser dans la nuit, vertige étoilé,
Semblable à l’oiseau par un rêve ailé,
Pareille au bouton d’où éclot la rose.  

1981.

Histoire de Gigot

un monsieur gros et gras
un monsieur gras et gros
mangeait un lourd repas
mangeait un bon gigot
et il levait le bras
et il avait bien chaud
mais un chien triste et las
mais un chien tout penaud
lui vola des abats
lui vola un morceau
le monsieur se fâcha
le monsieur fit gros dos
eut un hoquet d’effroi
un horrible sursaut
où était donc son plat
son si tendre gigot
le grotesque bourgeois
le monsieur rigolo
gémit et injuria
fit un énorme saut
pour ravoir son repas
qui lui faisait défaut
mais il était trop gras
mais il était trop gros
alors il éclata
comme un ballon trop chaud
et le chien s’esclaffa
et le chien fit des sauts
mais il n’éclata pas
mais il s’envola haut
dans le ciel plein de joie
dans le ciel plein d’oiseaux

1981

Cailloux des Routes

les cailloux sur les routes
ont très mal dans leurs cœurs
car nul ne les écoute
car nul ne voit leurs pleurs
leurs pauvres pleurs sans gouttes
leurs sanglots de douleur
le monde les envoûte
le monde leur fait peur
aux cailloux sur les routes
aux doux cailloux en pleurs
et qui sans cesse broutent
l’herbe aux tendres saveurs
l’herbe qui les écoute
sangloter dans leurs cœurs
sangloter dans leurs croûtes
leurs croûtes de malheur

1981.

L’Arbre

De son ombre de Dieu, l’arbre veille sur l’homme,
Fleur de chair et de sang sous ses bras grand ouverts ;
Le colosse de bois ne comprend rien au gnome
Qui s’agite à ses pieds en bipède pervers.


L’arbre, éternellement, pense sur l’univers,
Sans s’émouvoir du frêle animal qu’il détrône ;
Il puise son savoir de minéraux divers
Et contemple les cieux qui lui offrent l’aumône.


Hélas, son sommeil sage est quelquefois troublé
Par un vibrant insecte au membre barbelé
Que fixent sur son tronc des prêtres effroyables.


Le seigneur végétal, brusquement désarmé,
Délaisse avec douleur le ciel qu’il a aimé,
Pour étreindre le sol, de ses mains pitoyables.

1980.

Les Vaches

Les vaches, dans leurs prés, broutent avec constance
L’herbe, dont elles font mélange lactescent
Dans leurs estomacs pleins, breuvage mûrissant
Lentement, tout au fond de leurs énormes panses :


Lait régénérateur, merci vaches dormant
Dans vos lits de verdure, animaux de silence
Campagnard, aux grands corps plongés dans l’indolence
De la sieste, vos yeux beaux et doux se fermant


Tranquillement, bovins aux âmes bienheureuses
Dans de vertes amours, laitières généreuses
Pour vos maîtres, les plus débonnaires des dieux


Que vous servez beaucoup, ruminants radieux
Sous le ciel de l’été – ô vaches, que j’envie
Le calme de vos prés, la lenteur de vos vies !

1980,
remanié en 2020.

Dis-moi

Dis-moi, dame aux cheveux gris,
Ton existence d’avant,
Ses bonheurs dont tu souris.
– Ton visage est émouvant.

Sais-tu l’amour – le vrai – dis ?
Te souviens-tu des enfants
Dont tu fus le paradis ?
– Entends leurs cris triomphants !

Tu flânais, l’après-midi,
Sous le soleil du printemps,
Et dans le ciel attiédi
Filaient des oiseaux chantants.

Revois-tu les fleurs, les fruits,
Les beaux vergers opulents,
Les jardins bordés de buis,
Chère dame aux cheveux blancs ?

Le foin remplit les greniers,
Et les pommes les paniers ;
Les feuilles jonchent les cours.

De l’eau brille dans ton œil,
Larmes d’hiver et de deuil,
Ru discret suivant son cours…

Les saisons puis les années
Ont défilé, sans retour
– Combien de roses fanées,

Dis-moi ? C’est la fin du jour,
Les ombres  vont s’effacer…
– As-tu peur de nous laisser ?

Jean-Paul Labaisse, 1981-2017.

 

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Balthasar Denner (1685 – 1747)
Portrait d’une vieille femme.

 

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Christian Seybold (1695-1768)
Portrait d’une vieille femme à l’écharpe verte.

 

 

La Façade

Le long d’une façade où s’ouvrent les fêlures,
Des dessins dévorés de mousses ont grandi,
Fleurissement de lierre aux folles chevelures
Germant et bourgeonnant sur ce vieux mur verdi.

Ce ne furent d’abord que d’herbus graffitis,
Aujourd’hui devenus fabuleuses gravures
Amusant des gamins effrontés, divertis
Par cette efflorescence aux fragiles nervures.

Ils bâtissent châteaux et palais enchantés
Dans ces fleurs du hasard aux profils tourmentés
Offrant un peu de rêve à leurs âmes blessées.

D’un trou sombre crevant la fraîche floraison
Sort une vieille, traits fanés, lèvres plissées,
Qui tire les enfants pauvres dans leur prison.

Jean-Paul Labaisse 1980-2009.

 

 

lierre

 

facade

Photo prise à Dubrovnik, merci à toi Luc !

Le Messager

Le Messager

 

Par un matin d’été renaissant dans le ciel,
Un oiseau, le regard tendre et mélancolique,
Blanche apparition de l’aube bucolique,
Est venu me surprendre en mon rêve éternel.

La brise ébouriffant son plumage incolore,
Il dirigeait vers moi sa tête au teint vermeil,
Et semblait me sourire en ses yeux de soleil,
Le gosier frissonnant dans le froid de l’aurore.

Messager d’un espoir dont je ne savais rien,
Il se tenait au cœur d’une pure lumière,
Caressant de rayons ma chambre de misère,
Soudainement ouverte à son souffle aérien.

Je savais qu’il venait des empires funèbres
Où il avait pu lire, en de sombres miroirs,
Le reflet de ma vie inscrit dans les cieux noirs,
Destin abandonné par les dieux aux ténèbres.

Il avait traversé les éthers ignorés,
Où des astres brillants font leurs parfaites rondes,
Tournant sans fin autour d’étoiles vagabondes,
Et baignés par l’ardeur de soleils mordorés.

Issu de la douceur de la clarté lunaire,
Il avait dû fermer les yeux dans un sommeil
Tout miroitant d’un songe au mirage vermeil,
Pour revivre au sommet de l’arbre millénaire.

Il avait chaviré sous le ciel tournoyant
Qui, chaque soir, chuchote aux plus vagues nuages,
Les douloureux décrets, les frémissants messages
De Celui qui gouverne Infini et Néant.

Peut-être savait-il la nuit inconsolée
Du renouveau de l’âme, au-delà de la mort,
Au moment où, paisible et libre de remord,
Elle part calmement vers la divine allée ?

Et sans doute était-il l’oiseau de paradis,
Poète sidéral revenu sur la terre,
Afin de murmurer le secret trinitaire
Des archanges peuplant les limbes interdits ?

Il avait embrassé la brume ensorcelée
Des royaumes défunts, où des spectres lointains
Montrent leurs fronts blafards et leurs regards éteints,
Passagers immortels du dernier mausolée.

Sa mémoire n’était que corridors princiers,
Et son sublime esprit tout peuplé de délire
Connaissait l’Inconnu, que rien ne peut traduire,
Ni les Mages nouveaux, ni les anciens Sorciers.

Je pensais qu’il voulait me conter son voyage
Dans l’espace et le temps, au cœur de l’univers,
Où vont mourir, auprès des territoires verts,
Les animaux sacrés, les hommes de courage.

Et même, je croyais qu’il me dirait enfin,
La vérité sur les choses et sur les êtres,
La clarté qui s’enfuit des célestes fenêtres,
Le visage de Dieu dans le ciel souverain.

J’ai doucement parlé à l’oiseau de mystère,
Modulant ma pensée au rythme de son cœur,
Approchant de mes mains son corps plein de vigueur,
Pour lui faire entrevoir mon âme solitaire.

Le divin messager ne m’a pas répondu,
Il a baissé ses yeux d’où s’écoulaient des larmes,
Et s’échappa léger, dans un envol de charmes,
Très loin, vers l’horizon immense et défendu.

L’oiseau ne m’a laissé qu’une plume soyeuse,
Scintillant dans les rais d’or du soleil levant,
Et qu’un filet de brise, une haleine de vent,
Agitait faiblement dans l’aube merveilleuse.

Reviendras-tu bientôt, frère au tendre regard,
Par un matin d’été plein de douces lumières,
Interrompre mon rêve, et ouvrir mes paupières
Sur un monde plus beau, sur un ciel sans brouillard ?

Jean-Paul Labaisse, 1983.
corrigé en 2015.

 

Adieu à l’Enfance

 

Ô toi qui fus l’ami de mon enfance,
Tu disparus un jour de grand soleil ;
Tu me fis découvrir les fruits vermeils
Qui naissent dans les fleurs de l’innocence.

Je ne puis oublier la nuit limpide
Où tu m’appris le monde et ses trésors ;
Les étoiles pleuraient des larmes d’or,
Les soleils traversaient le ciel livide.

Avec toi je n’ai plus connu la peur
De l’horizon noir et de ses mystères ;
Tu m’as emporté loin de notre terre,
Me serrant contre toi et ta chaleur.

Seul, j’ai grandi sous ton ombre géante,
Sans me préoccuper de l’avenir ;
Je n’ai pas su que tu devais partir
Là-bas, vers l’horizon et ses tourmentes.

Pourtant, tu viens parfois hanter mes rêves
Sous forme d’un oiseau aux yeux brillants ;
Tu ne me dis plus rien et, en pleurant,
Tu t’enfuis, sans un bruit, vers d’autres grèves.

Jean-Paul Labaisse 1983.

  

Ignacio Pinazo Camarlench - Paloma.jpg

Ignacio Pinazo Camarlench – Paloma

Une Flamme

 Dans la profonde nuit, le poète réveille
Celui qui ne dort pas et que l’aube vermeille
Surprend en train de lire un texte bien-aimé.
Toute la poésie est dans la douce flamme
Qu’elle suscite en nous et l’homme déprimé
Ranime à sa chaleur le foyer de son âme.

Jean-Paul Labaisse, 1983.

 

  

 

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